Évangile : Matthieu 5, 13 à 16
Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il ne sert plus qu’à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les hommes.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée ; et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux.
Je me demande si, en entendant ces versets – comme bien d’autres passages des Écritures – nous mesurons bien la portée de ce qui nous est dit ! Probablement entendons-nous ici quelque chose du genre : vous avez une mission, il faut que vous éclairiez le monde qui est dans les ténèbres, il faut que vous donniez – ou redonniez – au monde sa saveur. Et il faut ça, sous-entendu, pour être de bons chrétiens… c’est-à-dire pour être du bon côté le jour où quelqu’un viendrait faire un tri entre les uns et les autres.
Mais ça sort d’où, ça ? Parce que ce n’est pas, mais alors pas du tout, ce que nous rapporte Matthieu ; ce n’est pas, mais alors pas du tout, ce que dit Jésus !
Jésus ne dit rien d’autre que : vous êtes ! Sans condition préalable et sans condition en termes de conséquences ! Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde ! Et s’il faut entendre un appel, alors ce n’est que celui-ci : soyez qui vous êtes ! Ne travestissez pas votre être à force de personnage, rôle ou masque. Un peu comme l’entraîneur d’une équipe de foot dirait à un de ses joueurs : tu es un attaquant ! Sous-entendu : sois qui tu es, ne traîne pas dans ta propre surface de réparation ! Ou comme on dirait à un enfant : tu es un enfant ! Sous-entendu : sois qui tu es, ne te complique pas l’existence avec les petites cases des adultes qui pensent et disent sans cesse « non » ; non, ne dis pas ceci ; non, ne fais pas cela ; sois qui tu es au fond du cœur… alors parle, chante, joue, danse !
Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde ! Vous êtes, tous ensemble et chacun, vous êtes porteurs de toute la saveur et de tout l’éclat de la création juste et bonne qu’a voulue Dieu !
Oui, mesurons-nous bien la portée de ces paroles ? Il n’y a rien à chercher, rien à faire, rien à obtenir, rien à performer. Rien. Juste à être ce que nous sommes. Et c’est dans la même veine que Paul nous dit, dans le mot d’ordre de la semaine : vivez comme des enfants de lumière ! Juste avant il dit : vous êtes lumière. Même mouvement donc : voilà ce que vous êtes – eh bien, vivez-le !
Vous pouvez suivre ainsi le fil de toutes les Écritures :
- Vous êtes créés à l’image de Dieu, porteurs de son souffle ; soyez qui vous êtes…
- Vous êtes libérés de l’esclavage, vous êtes libres ; soyez qui vous êtes…
- Vous êtes concitoyens des saints, de la famille de Dieu ; soyez qui vous êtes… (mot d’ordre de la semaine dernière)
Jésus est venu réaligner l’humanité sur ce qu’elle est dans le projet initial du Créateur. Non pas changer la donne, mais la réinitialiser. Comme on le ferait d’un ordinateur dont on supprime tous les programmes inutiles voire nuisibles qui se sont installés avec le temps.
Il est venu nous réaligner sur qui nous sommes en vérité – vous le savez, la notion biblique de péché, en hébreu comme en grec, ne signifie rien d’autre que la perte de l’alignement.
Il est venu nous dire, nous redire qui nous sommes, pour que nous puissions simplement être qui nous sommes.
Simplement… Tout est là ! Parce que voilà, c’est à la fois simple – peut-être trop ? – et pas simple du tout !
Trop simple… Il nous est apparemment difficile d’accepter que le message soit aussi simple. Comme si le « trop simple » rendait la chose suspecte.
Alors au fil des siècles, l’humanité a brodé autour de ce message ; elle en a fait des tonnes sur le mode des lois morales, des pratiques religieuses et autres fioritures qui nourrissent le besoin de complexité qui nous dévie de l’alignement.
Parce que ce n’est pas simple du tout d’accepter la simplicité ! Peut-être à cause de l’ennemi ultime qui est, je crois, la peur. La peur de n’être pas assez, pas assez bien – pas aussi bien que d’autres. (cf. Caïn et Abel, Babel…)
Ce n’est pas pour rien que la Bible nous dit 365 fois N’ayez pas peur. C’est pour que chaque jour à nouveau nous puissions réaligner notre vie sur ce que nous sommes : si la peur nous dévie de l’alignement, nous réaligner bannit la peur !
Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde ! Jésus est venu nous redire qui nous sommes en vérité, pour nous apprendre à simplement être qui nous sommes.
C’est ce qu’il fait dans la suite du sermon sur la montagne, avec toutes les paroles de contraste construites sur le mode : vous avez entendu… mais moi je vous dis… Et il n’y a dans toute sa prédication pas d’autre appel, pas d’autre impératif que celui-là. Parce que celui-là est l’appel ultime ; il est l’appel à la véritable conversion.
Convertissez-vous ne signifie, en réalité, rien d’autre que Revenez !
Revenez… à vous-mêmes, à qui vous êtes en vérité, à qui vous êtes profondément ! Revenez à vous – comme on se réveille d’une inconscience passagère… comme on reprend ses esprits…
Je vous invite à essayer concrètement de faire cette expérience. Cet après-midi, demain, dans les jours qui viennent… quand les choses vous paraitront compliquées, quand vous aurez l’impression d’être devant un vrai problème…
Revenez…
Revenez à vous-mêmes…
Revenez à la conscience d’être la créature de Dieu, formée par lui à son image, animée par lui de son souffle, libérée par lui pour la liberté ultime d’être vous-mêmes.
Revenez à cette identité initiale qui ne connaît ni personnage, ni rôle, ni masque…
Revenez au silence intérieur qui ne connaît pas de peur…
Revenez à qui vous êtes dans la Création initiale où il n’y a ni complexité ni problème.
Revenez à vous et soyez vous-mêmes : c’est la plénitude de vie pour laquelle le Créateur vous a formés et animés.
Amen.